La disparition de la classe moyenne occidentale ouvre le temps de l'a-société, le temps de la rupture du lien entre les mondes d'en haut et d'en bas. La lutte des classe est révolue puisque, comme l'explique le milliardaire américain Warren Buffet, elle a été gagnée par la classe dominante depuis bien longtemps.
C'est aujourd'hui le temps de la grande séparation sociale et culturelle entre classes supérieures et classes populaires.
La rupture ne passe pas par une lutte frontale des classes sociales, mais au contraire par sa négation, par un brouillage savamment entretenu et qui aboutit à l'invisibilisation des plus modestes. La nouvelle bourgeoisie a abandonné les classes populaires occidentales, et avec elles la lutte des classes.
Nous n'avons plus affaire à un monde d'en haut qui défendrait l'ordre ancien, l'autorité, les cadres nationaux, mais à une nouvelle bourgeoisie cool qui a choisi la sécession. Le sacrifice de la classe moyenne occidentale sur l'autel de la mondialisation n'était que la première étape d'un processus qui allait conduire le monde d'en haut à abandonner les modèles et valeurs communs qui cimentaient les société occidentales. Pour la première fois, la classe dominante et ses relais médiatiques, culturels, universitaires ne parlent ni "au nom de", ni "contre" les classes populaires, puisque celles-ci son désormais sorties de l'histoire.
Aujourd'hui, "noblesse n'oblige plus".
En rompant le lien entre le haut et le bas, qui conditionne l'existence même de la société, les classes dominantes et supérieures ne cherchent plus à faire société, mais sécession. Libérée de ses obligations, la nouvelle bourgeoisie déserte. De leur côté, conscientes de cette mise à distance, les classes populaires ne reconnaissent plus aucune légitimité à ce monde d'en haut qui fuit ses responsabilités, et ont entamé leur grand marronage.
Or, si le monde d'en haut n'est plus capable de prendre en charge les intérêts du monde d'en bas, c'est la société elle-même qui s'effondre. La disparition de la classe moyenne occidentale nous fait entrer dans une période chaotique où tout ce qui faisait le commun, de l'Etat-providence au partage des valeurs, est peu à peu démantelé.
Le creusement des inégalités sociales et territoriales n'est qu'un symptôme de ce basculement sociétal et culturel. La rupture du lien entre le monde d'en haut et son socle populaire fait ainsi émerger la société des minorités et des majorités relatives, et celle de l'indistinction sociale et culturelle.
Confronté à la contestation populiste, le monde d'en haut choisit la fuite en avant (économique et sociétale) et accélère sa citadellisation. Si cette désertion conforte temporairement les positions sociales et territoriales des gagnants de la mondialisation, elle ouvre en Occident le temps d'un chaos tranquille. "There is no society".
_______________________
Christophe Guilluy, No Society : la fin de la classe moyenne occidentale, Flammarion Champs, Paris, 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire