12 février 2023

LA NATION FRANÇAISE AU SECOURS DE LA RACE FRANÇAISE - ALFRED FOUILLÉE

Grand est le désordre des idées lorsqu'il s'agit de caractériser les Français sous le rapport ethnique. Les uns, ayant sans cesse à la bouche la "décadence latine", nous traitent de Latins ; les autres de Celtes, et on pourrait tout aussi bien, à ce compte, nous appeler des Germains. La vérité est que la France est une combinaison des trois éléments principaux auxquels, en Europe, se ramènent tous les autres.

César, au début de ses Commentaires, distingue fort bien lui-même les trois groupes ethniques des Aquitains, des Celtes, des Belges. Le plus ancien fond de la population gauloise est un peuple brun au crâne allongé, parent des Ibères et appartenant au type méditerranéen. Plus tard, le long de la chaîne des Alpes, pénètre un peuple nouveau, à tête très large, de petite taille, et dont certains représentants ont paru mongoloïdes : ce sont les Ligures. Par la même voie arrivent des Celtes, également brachycéphales, et peut-être aussi d'origine asiatique. Enfin, pendant l'âge du Fer, des conquérants descendent du Nord, grands et blonds, à tête allongée. Ce sont eux qui formèrent, en se mêlant aux Ibéro-Ligures et aux Celtes, le peuple gaulois connu des Romains.

L'assise même de la population française fût ainsi constituée dès l'âge du Fer. Plus tard, les nouvelles invasion germaniques, franque et normande, ne firent que renforcer l'élément grand et blond : elles refoulèrent le Celte pur dans la Bretagne, dans le Massif Central, dans les Cévennes et dans les Alpes.


En somme, si les Méditerranéens et les Celtes ont formé les couches les plus profondes et les plus anciennes de la Gaule, surtout au midi, dans le centre et à l'ouest, la couche germanique et scandinave n'en a pas moins été très considérable, surtout dans l'est et le nord. Cette fusion de trois races devait finir par former chez nous une harmonie rare et précieuse, une sorte d'accord parfait où le Celte donne la tonique, le Méditerranéen la médiante et le Germain la dominante. Sous le rapport psychologique comme sous le rapport ethnique, les "fatalités" de notre race, qui, prétend-on, pèseraient de plus en plus sur nous, ne sont donc qu'un mot.

L'acquisition d'un caractère national, le plus un et le plus riche possible, produit chez un peuple une unité d'esprit et de conduite qui le porte au sommet de sa grandeur. Quand ce caractère se décompose, perd son unité et son homogénéité, il engendre l'instabilité des opinions et des actions. Divisé en lui-même contre lui-même, le peuple est alors en équilibre instable. C'est ce qui fait le péril d'une introduction d'éléments étrangers non assimilés ou d'assimilation difficile. Ce péril commence à se manifester en France.

Nous sommes menacés de voir croître l'instabilité de notre caractère national par la croissante invasion des étrangers dans notre pays.

En Angleterre, le nombre total de résidents étrangers est de 5 pour mille ; en Allemagne 8, en Autriche 17. En France, la proportion est allée croissant avec rapidité. En 1886, elle était déjà de 30 pour mille ; aujourd'hui, elle approche de 4%. Un étranger sur 25 ou 30 habitants, c'est beaucoup, et l'influence sur la race ne saurait être négligeable. Ne suffisant plus nous-mêmes à renouveler et à grossir notre population, nous nous peuplons d'éléments empruntés à tous les coins de l'horizon, à la Belgique, à la Suisse, à l'Allemagne, à l'Italie. La complète fusion de ces éléments demanderait des années. Tant qu'elle n'est pas faite, un certain trouble se produit au sein du caractère national.

De plus, au point de vue ethnique, les anthropologistes croient que la proportion de nos races composantes se modifie. Tout le long de notre histoire, nous avons fait une énorme dépense des Gaulois dolicho-blonds, par les guerres où ils se sont fait décimer ; nous en avons envoyé, par l'Edit de Nantes, des familles entières à l'étranger, parmi les meilleures et les plus morales ; la Révolution, à son tour, en a décapité des masses, en attendant que l'Empire semât la partie la plus vigoureuse de la population entière sur tous les champs de bataille.

Les longues guerres ont toujours, sur les peuples des effets désastreux ; l'un des principaux est la disparition ou la diminution de la partie la plus valide, de celle qui, en faisant souche, eût le mieux conservé la vigueur physique et morale de la race.

Supposez, selon la remarque de monsieur de Lilienfeld, qu'un troupeau fût exclusivement défendu par ses membres les plus forts et les plus jeunes, tandis que les plus faibles et les plus âgés seraient en dehors de la lutte et presque seuls à se reproduire. Il est clair qu'au bout d'un certain temps le troupeau serait en dégénérescence : la sélection opérée à rebours produirait un abaissement du ton vital. Il en est de même pour les peuples, les victoires leur coûtent aussi cher que les défaites.

Une des raisons qui font que l'Angleterre a conservé, dans sa population, une plus grande vigueur physique, une taille plus haute, une race plus pure que les autres nations, c'est que sa situation insulaire lui a permis de prendre une part relativement faible aux guerres continentales, de ne pas user tout ensemble ses finances et son capital humain à l'entretien d'armées permanentes et à des massacres internationaux. De même, se tenant depuis longtemps en dehors de nos luttes, la Scandinavie a conservé une race forte et saine.



La France, au contraire, a usé le meilleur de sa richesse virile en batailles et en révolutions. Les peuples qui tirent l'épée périront par l'épée. Ils ne versent le sang des autres qu'en épuisant le leur. C'est vraiment aux pacifiques que la terre appartient, car les belliqueux s'éliminent par extermination mutuelle. De nos jours, une longue guerre généralisée compromettrait la vitalité de la race, chez les vaincus et chez les vainqueurs. Une guerre de la France et de la Russie contre la Triple-alliance ne serait pas seulement la ruine économique, mais la ruine physiologique des nations belligérantes. Les panégyristes de la guerre feraient bien de méditer sur ces lois de physiologie sociale, qui aboutissent au Vae victoribus non moins qu'au Vae victis.

En présence des maux actuels, l'indifférence et le découragement auraient les mêmes effets et sont également à craindre.

Rien de pire pour un peuple que "l'auto-suggestion" de sa déchéance.

A force de se répéter qu'il va tomber, il se donne à lui-même le vertige et tombe. Comme, sur le champ de bataille, la persuasion de la défaite rend la défaite certaine, ainsi le découragement national enlève aux caractères leur ressort et devient semblable à l'obsession du suicide. En se payant de mot comme "fin de race" ou "fin de siècle", on s'abandonne au courant général, on se désintéresse, on prétexte son impuissance individuelle contre une destinée qui pèse sur tout un peuple et prend même l'aspect d'une fatalité physique.

En réalité, cette fatalité n'existe pas.

Renan insista jadis à l'excès sur l'influence de la race, en même temps que Taine exagérait celle des milieux ; tous deux ont fini par reconnaître dans une nation, — et surtout dans la nation française, plus ouverte aux influences sociales, — un "principe spirituel", aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements, un héritage reçu indivis, qu'il faut continuer de faire valoir et qu'on accepte avec conscience par une sorte de "plébiscite de tous les jours".

"Nous sommes ce que vous fûtes", disait le chant spartiate aux ancêtres, "nous serons ce que vous êtes." Ce que les poètes antiques disaient par figure, les savants modernes ont raison de le redire, au nom de la réalité même. Mais ce n'est pas seulement, comme beaucoup d'entres eux paraissent encore le croire, l'hérédité de la race et l'action permanente du milieu physique, c'est le langage, l'éducation, la religion, les lois et les mœurs qui perpétuent l'influence ancestrale. Cette impulsion qui, partie de si loin, nous traverse et nous ébranle à travers les âges, comme une même force soulevant tous les flots d'une même mer, n'est pas uniquement la poussée aveugle des instincts de l'âge quaternaire, ou celle des agents matériels qui nous entourent ; elle est encore celle des idées et des sentiments, développés par la civilisation, et qui superposent à l'organisme physique un organisme moral.

Si une nation est un même corps, elle est avant tout une même âme.

Dès à présent, nous pouvons conclure qu'on ne saurait voir un "crépuscule du peuple" dans un excès de névrosisme ou dans un affaiblissement musculaire qu'on retrouverait plus ou moins chez les autres nations. Si la vie intellectuelle et les influences sociales, avec leurs biens et leurs maux, sont devenues en France plus prédominantes qu'ailleurs, tandis que les influences ethniques y sont arrivées à un état d'équilibre éminemment instable, il y a là pour nous une raison d'espérer comme de craindre.

Aux heures critiques, le caractère national, avec les destinées heureuses ou malheureuses qu'il enveloppe, devient surtout une question d'intelligence et de volonté : la perte ou le salut de la nation est en ses propres mains.

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Alfred Fouillée, "Dégénérescence ? Le passé et le présent de notre race", Revue des Deux Mondes n°131, 1895

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