15 avril 2023

DÉCADENCE ET RENAISSANCE - AMBROISE MARCILHACY

Marquée par le règne de l'impolitique, du bougisme, de l'individualisme, et du libéralisme libertaire, l'époque actuelle, si elle correspond à une phase de décadence indéniable, témoigne au moins autant de la mise en échec, de l'essoufflement et du dépassement progressif du système qui y a abouti.

Comme on le voit année après année, le temps long de l'histoire se révolte chaque jour un peu plus contre le post-modernisme, l'idolâtrie du présent, et une ère auto-satisfaite et naïve qui prétendrait pouvoir faire fi des grands invariants anthropologiques. Si l'on en croit l'étymologie du terme "décadence", le latin cadere (tomber) venant de decadere, qui est lui-même une altération de decidere (décider), une décadence est souvent une première étape d'une phase de chute ascensionnelle, où le fait de déchoir implique du même coup celui de décider, c'est-à-dire de prendre des résolutions fatidiques pour ne pas mourir et sombrer dans l'abîme d'où l'on ne revient pas.

L'ère du dernier homme (Nietzsche), du césarisme technocratique (Spengler), ou de la démocratie comme indépassable horizon (Gauchet), avec tous les symptômes qui leur sont liés, ne sont ainsi qu'un écran de fumée qui cache surtout le retour en force du tragique, et de la nécessité implacable d'un retour aux fondamentaux qu'une période de déclin voulait nous faire oublier.

Qu'il s'agisse de la France ou de l'Occident, la décadence actuelle, par une sorte de nécessité intrinsèque, n'est jamais qu'un prélude à leur renouvellement et à leur retour en force sur la scène de l'histoire.

Le cycle de décadence actuel est donc à relativiser comme l'un des deux volets d'une plus vaste phase de renaissance, qui, pour accomplir la mutation ontologique d'un monde et le soumettre à une rupture paradigmatique, n'a pas d'autre choix que de lui faire violence et le plonger en partie dans le chaos. Face au mirage du décadentisme radical et à la nécessité d'une doctrine renaissantique qui permette d'affronter un temps de guerre, il ne faut donc pas confondre décadence partielle et décadence terminale, déclin relatif et déclin définitif.

De même que le bas de la vague n'entraîne l'assèchement de la mer, les moments de décadence ne signifient pas la mort définitive et la sortie de l'histoire.


Pour l'Occident, une phase de décadence, aussi poussée soit-elle, ne signifie pas qu'il serait effectivement en fin de course, ou aurait épuisé toutes ses possibilités, mais constitue tout au plus le signe d'un passage à vide. De même, pour une nation vieille de 1500 ans comme la France, la décadence, loin d'être une mise à mort définitive, n'est jamais plus qu'une décadence épisodique et partielle, encastrée dans un plus vaste mouvement de régénération. Pour reprendre les catégories de Braudel, le suicide français entamé à partir de 1968 relevant tout au plus de l'histoire conjoncturelle, il n'est que l'effet de surface de l'histoire structurelle d'une civilisation qui tend, elle, à l'immortalité.

Dans un contexte de déclin de l'hyperpuissance américaine et de son système de vassalisation impériale, il semblerait que la France, grande puissance moyenne, ait au XXIe siècle, toutes les cartes en main pour accomplir la vocation de meneuse du monde libre et de nation de l'entre-deux que lui donnait déjà Maurras dans Kiel-Tanger.

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Ambroise Marcilhacy, "Penser la décadence", Perspectives Libres n°26, 2018

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