04 février 2024

L'INNOCENCE DU CHAOS

Notre monde est au bord du chaos. Les alarmes retentissent de toutes parts, tandis que les armes se fourbissent. Notre monde court à la guerre. Non pas parce que la politique étrangère est menée par des tyrans sanguinaires, mais au contraire parce qu'elle est menée par des groupies adolescents.
 
Les nations européennes ont découvert la guerre d'une manière bien singulière. Alors que dans le reste du monde la logique civilisationnelle est soit restée tribale, soit devenue d'emblée impériale, ce sont d'abord par les remous embryonnaires de leur construction nationale que les Européens se sont frottés au fait guerrier. La lutte féodale incessante entraîne les Européens à s'armer, à s'organiser et à comprendre les mécanismes tactiques et stratégiques induits par la guerre. Par conséquent, les jeux d'alliance d'une seigneurie à l'autre sont un marquant naturel du fait de guerre pour un Européen. Les Européens découvrent la guerre comme un processus de régulation politique, et non pas comme un absolu existentiel. La guerre est un processus politique par lequel on sécurise son entité. C'est aussi la lutte contre un ennemi héréditaire, comme peut l'être la civilisation musulmane pour l'ensemble de la chrétienté, ou les ennemis européens créés par des déterminismes géographiques.
 


La nation américaine a une approche complètement différente. Déjà, elle est portée par son messianisme, qui s'articule autour de la Destinée Manifeste, puis de la doctrine Monroe, élargie au reste du monde après 1945. Mais surtout, sa naissance à la guerre est radicalement différente. L'embryon guerrier américain s'articule sur les guerres indiennes et la guerre de Sécession. Et, comme le dit si bien Raymond Aron, dans ces deux conflits, l'adversaire n'est pas une entité politique symétrique, mais au contraire, c'est un ennemi existentiel dont on ne reconnaît pas le droit à l'existence véritable. Dans les deux cas, il s'agit d'un coupable à éradiquer pour qu'une meilleure paix survienne. Voilà pourquoi les Américains ne sont capables que de guerre totale. Ils ne maitrisent pas les subtilités du continuum diplomatie-stratégie. Paix et guerre constituent pour eux des états absolus et exclusifs.
 
Notre système-monde est un système planétaire achevé. La terra incognita n'existe plus. Nous formons donc, pour la première fois de l'histoire de l'humanité, un système-monde fini, où le principe impérial peut potentiellement arriver à ses fins, cette fin étant l'unification de l'humanité dans une entité politique globale. Notre système-monde a encore un obstacle à opposer à cette logique impériale : il est un système hétérogène, selon la définition de Raymond Aron. Le système dominant doit composer avec d'autres systèmes, mondes opposés, entités politiques d'une nature profondément différente, si différente qu'elles ne peuvent plus se comprendre sur les modalités mêmes de leur communication. C'est le monde théorisé par Christian Malis entre post-westphaliens et néo-westphaliens, qui partagent leur domination sur les pré-westphaliens.

Dans le bloc post-westphalien, trois grandes tendances politiques sont à l'oeuvre depuis 30 ans : les néo-conservateurs, les stato-libéraux et les sociaux-libertaires. Tous sont des obsédés du libéralisme. Tous promeuvent une hystérie du "je" incompatible avec les cultures autres qu'occidentale. Le monde court à sa perte, à cause de riches gamins narcissiques qui s'agitent dans la cour des grands.

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