07 décembre 2024

JEANNE HACHETTE - PAUL MURRAY KENDALL

Dans la matinée du 27 juin 1472, deux semaines après la chute de Roye, l'avant-garde de l'armée bourguignonne fit une apparition inopinée devant les murs de la puissante cité de Beauvais. Quoique bien fortifiée, la ville manquait d'artillerie, et seuls les bourgeois assistés d'une poignée de nobles assuraient alors sa défense. Sommée de se rendre, elle n'en avait pas moins refusé ; aussi, le seigneur de Crèvecœur, qui était alors le meilleur capitaine du duc de Bourgogne, ordonna-t-il de lancer une attaque simultanée contre deux de ses portes. Après avoir rapidement franchi les faubourgs de la ville, l'ennemi se retrouva devant les portes, d'une l'une fût bientôt percée d'un grand trou.

Cependant, les habitants de la cité se battaient comme des diables, faisant de leurs épées et de leurs corps un rempart contre les assaillants, sur qui ils déversaient du haut des murs une pluie de flèches, de pierres et de plomb. Parmi les défenseurs, personne ne se battait plus vaillamment que les femmes ou que les enfants, qui avaient constitué des chaînes pour ravitailler les hommes en munitions. Certaines femmes s'étaient même lancées dans la mêlée pour participer au corps à corps, tandis que d'autres allumaient des torches qu'elles jetaient ensuite au visage des Bourguignons. Bientôt, la porte entière fût en flamme, et le duc Charles, qui était arrivé dans l'après-midi, considéra pratiquement la ville comme sienne aussitôt que le feu fût éteint.

Puis, vers huit heures du soir, alors que la nuit commençait à tomber, deux cents lances de l'armée permanente arrivèrent de Noyon, où elles étaient en garnison, et entrèrent par la porte sud de Beauvais. Laissant aux femmes le soin de s'occuper de leurs chevaux, les arrivants se précipitèrent au secours des défenseurs. Bientôt, les ténèbres vinrent mettre fin au combat.
 

 
Le lendemain, le duc de Bourgogne fit donner toute sa magnifique artillerie contre la ville ; mais, dans l'après-midi, le maréchal Rouait arriva avec cent lances et ses hommes se mirent aussitôt à réparer les brèches faites dans les murs. Le jour suivant, Antoine de Chabannes, le grand maître, et Jean de Salazar, autre écorcheur célèbre et compagnon d'armes du dauphin Louis, entrèrent dans Beauvais à la tête de quelques deux cents lances. Peu de temps après arrivèrent le seigneur de Crussol, Gaston du Lyon et le seigneur de Torcy, accompagnés chacun de puissants contingents, ainsi que Robert d'Estouteville, prévôt de Paris, qui marchait à la tête des nobles de la capitale. De Paris et de Rouen survinrent bientôt des convois de vivres et de munitions. En outre, le roi envoya des détachements supplémentaires avec ses sincères remerciements aux bourgeois et aux combattants de la ville.

Installée en contre-haut, l'artillerie bourguignonne tirait nuit et jour sur Beauvais, détruisant les maisons et les rues aussi bien que les fortifications. Au bout de deux semaines, Louis apprit que les canons bourguignons avaient démoli un quart des murailles de la ville. Malgré les conseils de ses capitaines, le duc ordonnait assaut sur assaut. Mais chacun d'eux était sauvagement repoussé. une sortie nocturne organisée par les assiégés coûta la vie à de nombreux Bourguignons. De leur côté, les garnisons d'Amiens et de Saint-Quentin veillaient à ne laisser passer aucun des convois d'approvisionnement destinés à l'ennemi, qui ne tarda pas à manquer de vivres et de fourrage. Rendu furieux, le duc de Bourgogne finit donc par se décider à lever le siège, et, le 22 juillet à trois heures du matin, il quittait Beauvais avec son armée pour prendre la direction de la Normandie, après avoir brûlé les villages et dévasté les champs situés dans un rayon de quarante milles autour de la ville.

Pour exprimer la gratitude qu'il éprouvait à leur égard, le roi Louis donna aux habitants de Beauvais le droit de fonder leur propre corporation municipale et les exempta d'impôts. Il rendit hommage aux efforts héroïques déployés par les femmes et par les enfants, qui, "sans s'épargner, et allant même jusqu'à donner leur vie", avaient affrontés la fureur bourguignonne. Il salua tout particulièrement les exploits accomplis par une certaine Jeanne Laisné, qui depuis est entrée dans l'histoire sous le nom de Jeanne Hachette. En mémoire de ce qu'elles avaient fait, les femmes de la ville furent dès lors autorisées à s'habiller comme bon leur semblait, quel que soit leur rang, et cela en dépit des lois somptuaires en vigueur à l'époque. En outre, il fût convenu que, dans la procession annuelle qui devait commémorer la victoire de la ville, elles précèderaient les hommes.

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Paul Murray Kendall, Louis XI, Arthème, Paris, 1974

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