Le XVe siècle est comme la conclusion du moyen-âge. Il ferme et il résume à la fois cet âge intermédiaire qui forme la transition entre l'antiquité gréco-latine et les temps modernes. C'est une des plus grandes dates de l'histoire de l'humanité. L'esprit chrétien, en ce qu'il a de plus suave, trouve alors son expression suprême et définitive dans "l'Imitation de Jésus-Christ" ; Gutenberg invente l'imprimerie ; Colomb découvre l'Amérique ; Jeanne d'Arc, enfin, personnifie l'héroïsme patriotique et couronne par le martyre l'épisode le plus merveilleux de notre histoire et de toutes les histoires.
La Pucelle n’est pas seulement le type
le plus achevé du patriotisme, elle est encore l’incarnation de notre pays dans
ce qu’il a de meilleur.
Il y a dans la
physionomie de l’héroïne du XVe siècle des traits qui la rattachent à la France
de tous les temps : l’entrain belliqueux, la grâce légère, la gaieté
primesautière, l’esprit mordant, l’ironie méprisante en face de la force, la
pitié pour les petits, les faibles, les malheureux, la tendresse pour les
vaincus. De tels dons appartiennent pour ainsi dire à notre tradition
nationale, et la libératrice d’Orléans les a possédés à un si haut degré que
cette face de son génie a frappé tous ses admirateurs.
Rappelons, quoique tout
le monde les sache par cœur, quelques-unes de ces saillies où l’on retrouve les
propriétés de notre sol, où l’on savoure le goût de notre terroir, où l’on
entend en quelque sorte la voix de notre sang, le tout élevé à la hauteur d’une
grande âme : « Jamais, disait un jour la Pucelle, je n’ai vu sang de Français
que les cheveux ne me levassent ». Et ailleurs, à la première nouvelle d’un engagement où plusieurs des siens
avaient été blessés : « Ha, sanglant garçon, cria-t-elle à son page, vous ne me
diriez pas que le sang de France fût répandu ! »
La patrie, au lieu d’être une simple abstraction, viendrait à s’incarner sous les traits d’une femme, la patrie elle-même personnifiée dans une créature d’élite ne tiendrait pas un autre langage.
Le 7 mai 1429, la veille
de la levée du siège d’Orléans, comme elle partait pour l’assaut, son hôte la
voulait retenir pour lui servir un magnifique poisson qu’on venait d’apporter.
« Gardez-le jusqu’à ce soir, dit-elle en souriant, je vous amènerai un godon
(sobriquet populaire donné aux Anglais) qui en mangera sa part. » Cet entrain
belliqueux, cette gaieté allègre, ce mot pour rire en allant à la bataille,
comme tout cela est bien français !
Un de ses examinateurs
de Poitiers, le Dominicain Seguin, croyait la mettre dans un grand embarras en
demandant malicieusement quelle langue parlait l’archange Michel lorsqu’il
était apparu pour lui annoncer sa mission ; et, comme cette question insidieuse
était assaisonnée d’un fort accent limousin : « Il parlait, se contenta de
répondre Jeanne, un meilleur français que vous ».
Certes, tous les pays
ont eu leurs héroïnes, mais quelle autre qu’une Française, aussi prompte à la
riposte que capable d’enthousiasme, aurait trouvé cette réponse ! On retrouve
ici le génie national en ce qu’il a de permanent et d’essentiel ; mais il y a
d’autres traits de la physionomie de Jeanne d’Arc, non moins piquants,
quoiqu’ils nous semblent aujourd’hui un peu étranges, qui portent l’empreinte
particulière et pour ainsi dire la marque soit de la France du XVe siècle en
général, soit du pays natal de la Pucelle en particulier, soit même des quatre
ou cinq années, d’un caractère très singulier, qui ont précédé sa mission.
Les deux plus saillants
de ces traits, l’ardeur enthousiaste de la foi religieuse, la croyance naïve au
surnaturel, ont été signalés par tous les historiens. Un troisième trait,
encore plus caractéristique que les précédents, sur lequel on n’a peut-être pas
suffisamment insisté jusqu’à ce jour, c’est ce qu’on peut appeler le culte
mystique de la royauté. Les représentants légitimes de cette royauté ont été
pour la Pucelle l’objet d’une sorte de religion, et comme des papes laïques.
Les circonstances
locales expliquent peut-être le caractère exalté que revêtit ce culte dans la
patrie de Jeanne d’Arc au commencement du XVe siècle. Il faut donc s’atteler à
reconstituer l’histoire de ce petit coin de Lorraine autour de Domrémy pendant
les années qui ont précédé immédiatement la mission. Les moines les plus
populaires de la fin du moyen âge, les religieux mendiants et surtout les Franciscains
de l’Observance ont aussi exercé une influence prépondérante sur la tournure de
la dévotion de la libératrice d’Orléans et aussi, dans une certaine mesure, sur
sa vocation patriotique.
L’idée d’une
intervention providentielle en faveur de la France ne pouvait que s’incarner, à
l’époque de Jeanne d’Arc, dans le chef de la milice divine, dans l’archange
Michel plutôt que dans un autre personnage céleste.
Replacée ainsi dans son cadre naturel,
et étudiée sous son vrai jour, la physionomie de l’héroïne nous apparaît plus
originale sans être moins touchante. S’y marient et s’y fondent les lignes
fondamentales, permanentes, du caractère national français, et aussi les traits
particuliers qui ont marqué ce caractère pendant une certaine période du
moyen-âge.
Par ses qualités les plus séduisantes
comme par quelques-uns de ses plus dangereux défauts, la France est
essentiellement femme.
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