31 octobre 2022

LE PANGALLICISME - GEORGES ESPÉ DE METZ

Je le reconnais volontiers et m'excuse : pangallicisme n'est même pas un gallicisme, c'est un vulgaire barbarisme.

Mais que le diable s'en mêle, si je réussis à trouver dans notre langue, l'équivalent de pangermanisme, de panislamisme, de panhellénisme, et de tous les pan du monde. Qu'on me donne mieux que pangallicisme et je le sacrifie sur l'heure. Pourtant ce vocable mal venu peut se prêter à une signification précise ; et la question du pan, qui est d'importance essentielle, réclame l'urgence.

Pourquoi ?

Parce qu'en dépit des bavardages des moralistes et des remèdes saugrenus imaginés par les scientistes, la natalité française diminue et que nous sommes encerclés par des torrents d'humanités adverses.

Pourquoi ?

Parce que le sort des armes est tellement hasardeux qu'aucune aide ne doit nous paraître négligeable et que, parmi les nations, celles-là seules sont éternelles dont le génie est de taille à survivre à la conquête des Barbares.

Nous comptons parmi nous de purs Hellènes de la bonne période, des Latins authentiques de toutes les époques. Et tant qu'il y aura des hommes sur la terre, le génie d'Athènes et celui de Rome ne cesseront pas de régir les élites.

C'est que les peuples qui ne se contentent pas d'être grands par les armes, mais qui, après avoir affirmés leur vaillance, réussissent à conquérir les esprits, ne meurent jamais complètement.

Notre passé nous donne le droit d'espérer un souvenir d'une durée indéfinie dans la mémoire des hommes, mais le présent nous contraint à continuer à vivre par tous les moyens possibles, ne fut-ce que pour ajouter au rayonnement de l'héritage des ancêtres.

Aussi nous faut-il, nous autres Français, être des pangallicistes, c'est-à-dire nous efforcer, avec toute notre énergie, de rassembler en un faisceau d'amitiés françaises tout ce qui, dans le monde, soit du fait des circonstances, soit en raison d'affinités particulières, est capable d'augmenter la vigueur et le prestige de la pensée française.

En tous lieux de la terre se trouvent des francophiles. Mais il est des contrées où l'attirance vers notre peuple, où l'attrait qu'exerce la mentalité française sont tellement vifs que je me demande si, à certains moments décisifs, le groupement, préalablement constitué avec solidité des tendances francophiles, ne parviendrait pas à peser d'un poids prépondérant sur la Destinée

Regardez la carte de l'Europe : au nord le Danemark, à l'est la Pologne, au sud la Bohême… Là sont des énergies, des intelligences, des esprits, des âmes prêts à se donner, mais à qui ne manque que le fil conducteur, que le foyer de la lentille qui fait converger les rayons.

Plus loin, en deçà, au delà, d'autres sympathies encore, d'utilité moindre, sans doute, au point de vue de la réalisation matérielle de l'évènement nécessaire [NDLR : la Revanche, la Première Guerre Mondiale], mais pleines de promesses pour la réalisation de la suprématie intellectuelle, grosses de puissance, le cas échéant, pour la conquête ultime, celle qui constitue l'espoir dernier des vaincus, la survivance dans l'âme des générations, à la façon de Rome et d'Athènes.

C'est la Suisse et c'est la Belgique, c'est le Canada, c'est Buenos-Aires, c'est une partie considérable de l'Amérique du Sud qui recèlent des hommes pour qui la France n'a pas cessé d'être l'alma mater.

J'avais rêvé, il y a quelques années, que des Français de France, s'alliant en toute indépendance à des Français de cœur et à des étrangers francisants, uniraient leurs efforts pour constituer un organisme en partie double, l'une dont le rôle serait de renseigner nos amis d'outre-frontières sur les pensées et les espoirs français, l'autre destinée à initier les Français de France aux mœurs et aux désirs de nos amis d'outre-frontières.


Je ne sais rien de plus déplorable que de tenter de ridiculiser la langue de Genève ou les mœurs de Bruxelles. A l'origine de maintes antipathies on trouve de ces plaisanteries fâcheuses qui, anodines parfois entre compatriotes, atteignent presque toujours l'étranger dans sa fibre nationale.

Différent des paresseux, des brutaux, des apathiques et des étourdis, le pangalliciste se doit de n'oublier pas, en quelque circonstance que ce soit, qu'il est le pionnier de la plus grande France, que sa tâche est de faire récolte de tendresse pour sa patrie, qu'il lui faut sans cesse, selon la méthode apostolique, pêcher les cœurs comme on pêche les poissons dans la mer.

Il est aussi un devoir auquel il importe que le pangalliciste n'omette pas de satisfaire : celui de confesser sa foi à ses compatriotes. Et ceci afin que, lorsque des pangallicistes se rencontreront en nombre suffisant, il devienne possible d'organiser la pêche avec ampleur.

Des gens me disent : "Vous voyez trop grand !" Eh ! Bonnes gens, ou plutôt mauvaises gens, c'est parce que trop de Français – dont vous êtes – voient trop petit que la France se rétrécit et que le cercle se resserre…


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G. Espé de Metz, Vers l'Empire…, BNF Collection XIX, 1912, Paris.

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